Il est généralement admis dans l’entreprise que la culture a sa place. Il s’agit d’un élément connu mais assez peu travaillé par le management. Il faut laisser tout de même de la matière aux sociologues et aux spécialistes de la psychosociologie des organisations! L’entrepreneur a autre chose à faire! Et comme je le comprends!

Cette donnée culturelle, finalement acceptée par l’entreprise devrait-elle être un sujet majeur de l’entrepreneur? Est-ce que mieux s’y intéresser lui permettrait de gagner en efficacité et en rentabilité? Toute organisation est un ensemble de comportements, de productions visibles caractéristiques de l’activité, du métier, de la profession, de l’environnement local.  Toute organisation est aussi un assemblage de valeurs, de croyances, de représentations véhiculées par sa direction, sa communication externe et ses collaborateurs/trices, voire même de ses clients et fournisseurs.  Apple a su créer justement une culture à part entière à travers ces clients. Cette production est alors invisible.  Ce concept de productions visible et invisible forme la culture de l’entreprise.(1) Cette dernière est informelle ou en partie déclarée sur les sites des entreprises ou dans les chartes distribuées aux employés.

La culture de l’entreprise s’identifie et se communique. Nous sommes dans ce que le manager capte, perçoit et diffuse. Mais la dimension culturelle de l’entreprise s’arrête-t-elle au niveau unique de la volonté du management ou a-t-elle une autre consistance, une autre vie cachée et souterraine, plus inofficielle?

En fait, l’organisation est un syncrétisme (2) de cultures. Pourquoi un « syncrétisme » de cultures?

L’organisation, conglomérat de moyens financiers, techniques, intellectuels et surtout humains, est par définition au regard de l’aspect de ses « ressources humaines » le point de rassemblement objectif d’un ensemble de cultures disparates. En effet, l’individu, qui constitue la plus petite unité du personnel de l’entreprise, possède sa propre culture. Ce dernier faisant partie d’un groupe bâtira une culture autour et avec le groupe. Philippe Rosinski, dans « Le Coaching Interculturel », estime que « la culture d’un groupe, c’est l’ensemble des caractéristiques qui distinguent ses membres de ceux d’un autre groupe. » et « …nous faisons partie de plusieurs groupes et évoluons par conséquent dans plusieurs cultures différentes. Parfois la nation est le seul groupe pris en considération pour identifier culturellement une personne (les Britanniques, les Allemands, les Brésiliens…). Elle ne représente pourtant qu’un des groupes auxquels nous appartenons. » Il fait référence aux catégories de la géographie, de la région, de la religion, de la nationalité, de l’éducation, de l’organisation, de la vie sociale et du genre.

Par conséquent, l’organisation est bien ce rassemblement (syncrétisme) de cultures différentes. L’individu étant lui-même porteur d’une culture à part entière, stratifiée en plusieurs autres cultures. Ainsi, l’entreprise est le lieu de rencontre de multiples cultures, par l’addition de ses employés. Et nous parlerons alors d’interculturalité! L’entreprise est le champ d’interaction entre des personnes mues par leur(s) propre(s) culture(s), elle(s)-même(s) mouvante(s) selon le contexte!

Le patron gère l’identification et la diffusion de la culture institutionnelle, mais gère-t-il la spécificité interculturelle?

La réponse est plutôt non. Sans même rentrer dans la discussion du manque de valorisation de l’humain dans l’entreprise, quelques constats s’imposent. Prenons l’exemple des fusions de sociétés, moment concret de rapprocher deux entités juridiquement différentes pour n’en faire qu’une seule. Chacune a ses spécificités et sa propre culture. Une étude a montré très nettement que la non prise en compte de la dimension culturelle amène à l’échec ou un échec relatif : « plus d’une fusion sur deux se solde par un échec. Deux sur trois ne génèrent pas la création de valeur annoncée au moment de l’opération. Le facteur humain et la culture de l’entreprise constituent les principales causes d’échec. » (3) La fusion d’Alcatel le français et de Lucent Technology, l’américain est un bel exemple de fusion ratée. L’entreprise est toujours leader sur son marché de référence, soit des télécoms et des réseaux, notamment via ses activités dans le « cloud-computing », mais la création de valeur n’a pas été au rendez-vous. Son cours de bourse l’exprime. L’action cotait 13 Euros en 2006, pour ne coter aujourd’hui que 2.90 Euros! Problèmes de management, de faire travailler des approches et donc des cultures différentes expliquent cet échec. Sans partir sur une fusion, qui est un choc important pour les entreprises impliquées, prenons le cas de Solocal, ex-Pages Jaunes. Nous sommes ici dans une configuration de changement de métier. Passer du papier au numérique. La transition s’est et se passe mal avec une dette lourde, posant des problèmes de refinancement à l’horizon 2017 et des équipes à reconstituer dans une toute autre culture, celle du digital! Je n’évoquerai pas le cours de bourse qui est encore plus catastrophique que celui évoqué précédemment.

Finalement le problème culturel est à plusieurs niveaux. Le premier niveau se situe à la prise de conscience de l’organisation sur sa propre culture et de sa communication, de sa diffusion. Le deuxième niveau est d’intégrer et de piloter la dimension interculturelle de l’entreprise en redonnant une place à part entière au facteur humain. Pour être pratique, il s’agira pour le manager d’être capable de formuler son but et de le retranscrire au niveau des différentes équipes (groupes culturels) de manière à travailler sur les freins, les blocages, les opportunités et forces dues à leurs particularités culturelles. Par cette démarche riche en échanges, discussions, calages et rapprochements, l’entreprise ramène cette diversité interculturelle à se concentrer, se densifier à une nouvelle culture comprise, intelligible et motivante.

 

Gérald Dehan

Coach, consultant

 

 

1. Fons Trompenaars, spécialiste du multiculturalisme, parle « d’implicite » et « d’explicite », alors que Edgard Schein ne s’intéresse qu’à la partie cachée, « enfouie et inconsciente de la personne ». Philippe Rosinski dans « le Coaching Interculturel » préfère les termes de visible et invisible.

2. Le syncrétisme étant un rassemblement de théories et de doctrines diverses ou de religions

3. Source : « Global Research project study of 115 merger operations by A. T. Kearney in 1998-1999 », Enjeux Les Echos, « Fusions, la guerre des cultures », janvier 2001.