Tombé par hasard sur un article intitulé « les bienfaits cachés de la hiérarchie », paru dans Entreprise Romande, le 25 septembre 2015, j’ai été surpris de découvrir que  le bonheur au travail était une mode et que revenir sur les fondamentaux du management, en particulier par la hiérarchie étaient propices à l’entreprise.

Oui, j’ai été surpris!

Bien sûr que les ouvrages, les parutions et les conférences sur le bonheur au travail sont nouveaux et certainement sur abondants, mais que cela fait du bien! Le concept d' »entreprise libérée » en est un exemple flagrant. Ce concept organise une simplification de l’entreprise en réduisant le nombre de niveaux hiérarchiques, met le patron au service des employés et redonne aux salariés leur autonomie et leur responsabilité. Rassurons-nous, seulement 3% des entreprises fonctionnent sur un mode d’entreprises libérées… Nous sommes bel et bien dans un système aujourd’hui hiérarchisé et structuré sur le pourvoir du chef. C’est la réalité du terrain.

Mais que penser de l’utilité ou non de maintenir les organigrammes tels quels? Faut-il redonner de la vigueur à l’autorité managériale?

Petit retour en arrière sur les pratiques de management. Cela fait presque 20 ans, que les entreprises, essentiellement les grands groupes, mais pas uniquement, se sont mis à la mode de la simplification des niveaux hiérarchiques. Les premiers mouvements était l’orientation client et le « total quality management », c’est-à-dire aménager un organigramme plus proche du client ou plus producteur de qualité. Le reengenering ou en français ré-ingénierie visant à améliorer les processus industriels en recherchant l’efficience, préconise ouvertement dans sa démarche une réduction des niveaux hiérarchiques.  Plus récemment, avec la crise de 2007, les directions générales voulant être plus en direct avec l’opérationnel ont raccourci les circuits décisionnels en supprimant certains niveaux. Effet d’aubaine ou non, la volonté de réaliser des économies, dans cette phase difficile, a prévalu sur le mode d’une logique purement comptable. Par ces exemples, en fait l’entreprise par elle-même a déjà remis en question ce sacro-saint organigramme pour diminuer la quantité de cadres opérationnels ou de niveaux supérieurs. C’est une tendance de fond et non une mode.

Alors, faut-il craindre que cette tendance longue, couplée à cette nouvelle mode du bonheur au travail ou de l’entreprise libérée, remette en question les vertus de la hiérarchie?

Il est évident que l’entreprise a besoin d’une hiérarchie, mais une hiérarchie différente et qui joue certainement une autre partition que simplement l’autorité et le pouvoir. Marianne Schmid Mast, professeure à HEC Lausanne,  lors d’une intervention au 7ème Congrès HR, section romande, défendait que les rapports hiérarchiques sont « utiles », tout en ajoutant que « Les motifs d’insatisfaction des collaborateurs ne résident pas dans l’organigramme lui-même, mais dans la manière dont les décideurs exercent le pouvoir. » Il ne s’agit pas en fait de balayer de la main la hiérarchie, mais de la repositionner. En effet, les salariés pour travailler ont besoin d’un cadre. Ce dernier donne de l’efficacité et de la méthode. Les limites sont claires pour tout le monde. Le flou et l’incertitude ne donnent pas de résultats solides et probants. Le véritable enjeu réside dans ce fameux exercice du « pourvoir »… J’aimerai paraphraser une citation de Georges Clemenceau, au sujet de la proposition de nomination d’un militaire au Ministère de la Guerre : « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires. » Je dirai que le pouvoir est une chose trop grave pour être confiée à des hommes/femmes de pouvoir. Le problème est bien là et bien au-delà également.

Combien de personnes occupent des postes pour l’exercice pur du pouvoir et des avantages liés, plutôt que pour la pérennité de l’entreprise? Combien de cadres sont cadres parce que compétents techniquement dans leur domaine, mais sont-ils formés aux pratiques du management? L’organisation en pâti certes, mais les hommes et les femmes qui y travaillent encore plus! La discussion se situe à cet endroit en particulier. Ce débat n’est pas nouveau du reste. La formation, la compétence managériale et le mode de fonctionnement du manager en sont le sujet sous l’éclairage du rapport hiérarchique. Ce rapport est l’essence même du repositionnement de la hiérarchie. Rétrocéder du pouvoir aux personnes qui connaissent le métier, le terrain, les clients, les bonnes pratiques, ne peut que dynamiser l’entreprise, parce que les employés seront plus productifs et épanouis.

Différentes conclusions d’études montrent que plus une personne prend de décisions dans son travail et plus elle sera opérationnelle et efficace. Une célèbre enquête à grande échelle sur  plus de 10’300 fonctionnaires londoniens suivis durant 14 années à propos du stress et de la santé, relève dans une des conclusions que plus le salarié a une part de décision dans son activité et moins il sera susceptible dans une situation de stress, de développer des maladies cardio-vasculaires. En résumé, plus je suis acteur de mon travail et mieux se portera ma santé! Par ailleurs, dans une des publications de M. Schmid Mast et P. C.  Schmid  (2013) dans European Journal of Social Psychology, il ressort que le simple sentiment de puissance ou de pouvoir augmente la capacité de la personne en situation d’évaluation sociale. « Simply thinking of having power can therefore have important positive consequences for a person in an evaluation situation in terms of how he or she feels and how he or she is evaluated. »  Une étude de 2010 menée par le Secrétariat d’Etat à l’économie suisse montre clairement qu’en situation de stress des éléments concrets permettent de surmonter le sentiment de surmenage : choisir/modifier la méthode de travail (81%), choisir /modifier l’ordre des tâches (80%), choisir/modifier la cadence et la vitesse de travail (80%), influencer les décisions importantes pour le travail (75%).

L’autonomie et la responsabilisation sont les ingrédients que le management doit saupoudrer pour obtenir une bonne santé au travail et surtout de la productivité! Etre capable de redistribuer ces parcelles de pouvoir aux collaborateurs que presque 100 années de taylorisme ont supprimés. Alors bien sûr que la hiérarchie a des « bienfaits cachés ». La hiérarchie a une véritable responsabilité. Maîtriser des compétences de savoir-être en vue de  valoriser le capital social et humain de l’entreprise, en redonnant des marges de manœuvre aux salariés, tout en effaçant les problèmes d’ego personnel. De la formation, un changement radical de la manière d’envisager le manager et dans ces conditions la hiérarchie prodiguera effectivement des « bienfaits cachés ».

Gérald Dehan

Coach et consultant